miércoles, septiembre 20, 2006

AvS sur le divan, par Thomas Ghysselinckx

AvS sur le divan, par Thomas Ghysselinckx

Permalink 20.09.06 @ 12:00:00. Archivado en Hispanobelgas, Teatro

Alexandre Von Sivers sur le divan. Il incarne un Freud en proie au doute dans Le Visiteur

Figure incontournable du théâtre belge, Alexandre Von Sivers prend aujourd’hui les traits du père de la psychanalyse dans la pièce d’Eric-Emmanuel Schmitt Le Visiteur. Un face-à-face improbable entre Sigmund Freud et Dieu sur fond de nazisme. Ça mérite analyse…

C’est la première fois que vous jouez une pièce de Schmitt, auteur français à succès installé à Bruxelles. Comment appréhendez-vous son écriture?:

Alexandre Von Sivers: C’est le théâtre le plus classique qui soit. Il obéit à la loi des 3 unités encore mieux que Racine. Unité de temps, de lieu et d’action. C’est vraiment 1 heure 19 de temps réel. Mais, ne nous y trompons pas: Samuel Beckett fait à ce titre aussi du théâtre classique car il respecte ces 3 unités. Beckett, à propos de Dieu dit: “Le salaud, il n’existe pas.“ Eric-Emmanuel Schmitt, lui, fait toute une pièce là-dessus. Il pose les questions fondamentales de tout homme: Dieu existe-t-il et, si c’est le cas, pourquoi le mal et la souffrance font-ils partie du monde. Il pose ces questions dans une structure dramatique haletante et passionnante. On a parfois l’impression d’être confronté à une pièce policière: l’inconnu est-il un fou ou Dieu lui-même?

Comment traite-t-il le sujet?

AvS: Il est allé puiser dans un événement historique et dramatique lié à l’histoire du nazisme. La pièce se passe le 22 avril 1938, peu après l’Anschluss. Cette nuit-là la fille de Freud a été interrogée par la Gestapo. L’auteur imagine l’angoisse du père confronté à l’intrusion d’un type venu dont on ne sait où et qui se prétend être Dieu. En même temps, un officier nazi l’informe qu’un fou s’est échappé: l’inconnu est donc peut-être un mythomane. On est assailli par le doute d’autant que la fille revient et surprend son père en train de dormir.

Il s’agit donc peut-être d’un rêve. Tout ça est très freudien…

AvS: Schmitt a l’habilité suprême avec 4 personnages d’opérer des rebondissements et des coups de théâtre qui permettent de maintenir le spectateur en haleine alors que les questions philosophiques sont assez difficilement traitables au théâtre.

FIGURE HISTORIQUE

Ce n’est pas la première fois qu’une pièce met en scène Sigmund Freud. Construire un personnage à partir d’une figure qui a marqué l’histoire implique-t-il une autre forme de préparation pour un acteur?

AvS: Dans ma carrière, j’ai également eu l’occasion d’interpréter le rôle d’Eischmann. Je pourrais aussi bien jouer Hitler. Le comédien, quand il est confronté à ce cas d’espèce, ne doit surtout pas penser qu’il joue un rôle historique: c’est un travail comme un autre, ni plus facile, ni plus difficile.

N’y a-t-il pas tout de même un devoir de précision plus grand à l’égard de quelqu’un dont on connaît l’histoire?

AvS: Non, on a un devoir de responsabilité égal à celui qu’on doit à un personnage imaginaire. On pourrait même envisager de ne pas être attentif à la ressemblance physique. Je me souviens d’un comédien jouant le rôle d’Hitler qui avait décidé de ne pas porter de moustache. Ici, le metteur en scène a voulu qu’on retrouve les traits distinctifs de Freud. Cela permet aux gens de projeter sur cette silhouette la connaissance qu’ils ont déjà préalablement du personnage: si je mets mes lunettes rondes, je me rapproche de cette figure connue, si je ne les mets pas j’y ressemble moins. Le public a parfois simplement besoin d’un signe. A partir de là, il adhère ou non. Mais attention! Le théâtre n’est pas le musée Grévin: il ne faut pas créer une ressemblance absolue. D’autant que le personnage de Freud n’est finalement qu’un prétexte pour exprimer toutes les idées contenues dans la pièce.

Un prétexte sans doute, mais pas choisi au hasard car confronter Freud à un personnage qui prétend être Dieu ne peut que provoquer des étincelles. La science s’accommode en général assez mal de la foi…

AvS: Le personnage de Freud est très étrange car c’est un homme qui a inventé une science invérifiable. Habituellement, la démarche scientifique fonctionne en 2 étapes: il faut d’abord déterminer une hypothèse et ensuite la vérifier. Les idées de Freud sont très excitantes pour notre civilisation, mais rien n’est formellement prouvé puisque ces expériences se déroulent dans la solitude d’un cabinet face à une seule personne. Il a bâti ses théories sur les psychanalyses qu’il a faites et qu’on ne peut reproduire à l’identique. Il en pourtant tiré des conclusions générales aujourd’hui contestées. Le complexe d’Œdipe, par exemple, est une construction géniale, mais qu’est-ce qui prouve que ce mécanisme est universel.

IDENTIFICATION

Vous êtes-vous tout de même plongé ou replongé dans l’univers freudien avant d’aborder le rôle ou pas du tout?

AvS: La psychanalyse est un élément de notre civilisation qu’on ne peut ignorer aujourd’hui. J’ai lu L’introduction à la psychanalyse et L’interprétation des rêves il y a bien longtemps. Je ne suis pas en mesure de juger ce grand homme, mais j’ai également lu des livres qui remettent fortement en cause ses théories. Tout le monde a entendu parler du Livre noir de la psychanalyse et de L’anti-livre noir de la psychanalyse. Tout ce bruit autour de son œuvre est un signe de l’intérêt qu’on lui porte.

Vous êtes comédien, mais aussi titulaire d’un doctorat en droit. Avez-vous l’impression qu’il faut défendre un personnage comme on défendrait un accusé?

AvS: Absolument pas. On demande souvent aux comédiens s’ils s’identifient au personnage, s’ils entrent véritablement dans leur peau. C’est loin d’être mon cas. Je crois que le public fait 80% du travail et que c’est lui qui s’identifie au personnage ou aux idées exprimées. Nous ne sommes que des ingrédients d’une histoire dont le but peut être de provoquer des émotions, de réformer des mentalités, de lutter contre les inégalités sociales ou le racisme… Le théâtre ne peut en tout cas pas se limiter au pur divertissement. Sinon, il vaut mieux aller à Disneyland et se rendre sur les appareils de foire qui provoquent des sensations fortes. Je pense intimement qu’on vient au théâtre pour mieux réfléchir sur sa condition d’homme.

Vous vantez les mérites d’un théâtre qui aide à réfléchir, mais vous ne congédiez pas purement et simplement la comédie…

AvS: Je n’ai évidemment aucun mépris pour des formes de divertissement plus populaire. Le rire est un mécanisme extrêmement sérieux. Je pense même que les films pornographiques ont une utilité sociale afin de relancer la libido ou d’apprendre de nouvelles pratiques. Il ne faut tout de même pas s’en abreuver…

Le comédien agit-il alors comme un passeur entre un auteur et un auditeur?

AvS: C’est un véritable travail d’orfèvre. Le comédien comme le musicien doit suivre une partition faite d’un texte et d’éléments psychologiques. Mais il faut relativiser ce travail psychologique qui n’est pas fait pour que le comédien se sente mieux. Ce n’est d’ailleurs pas parce qu’on se sent bien dans un rôle qu’on est bon. Il arrive que le comédien aille très fort dans une émotion et que le metteur en scène lui dise: “Tu pleures et tu cries très bien et tu es parfaitement sincère, mais tu es complètement à côté de la question.“ Il y a un travail d’intelligence qui doit précéder celui de la sensibilité. On ne peut commencer à improviser que quand tout est fixé. Ca ne change pas la forme, mais une certaine humeur donnera un supplément d’âme qui rend les choses plus vivantes. Notre métier consiste en fait à faire semblant de ne pas faire exprès tout en étant très précis. C’est comme un trapéziste qui ne doit pas rater son saut d’un demi-millimètre. Il faut reconnaître tout de même que notre travail est moins dangereux même si on évolue sans filet depuis qu’il n’y a plus de souffleur.

UTILITÉ SOCIALE

Vous ne prenez pas le théâtre à la légère: vous lui donnez même une très grande importance…

AvS: Je pense que le théâtre a une utilité sociale. Si je vais au restaurant ou que je vais voir une prostituée, je paye le service ou le plaisir qui m’est rendu. Je suis un consommateur. Le spectateur de théâtre est un consommateur bizarre car il ne paye qu’une infime partie de ce que coûte ce service étant donné que la place du spectateur est payée à environ 80% par des gens qui n’y vont jamais. C’est très particulier: ça s’appelle le service public.

Vous êtes un ardent défenseur de cette notion de service public?

AvS: Bien sûr car sans subside c'est-à-dire sans intervention du contribuable innocent, je ne pourrais pas vivre en tant que comédien. C’est assez paradoxal: je suis payé par un client qui ne sait pas qu’il me rend ce service.

Autre facette de votre personnalité: votre côté engagé. Vous êtes un militant acharné oeuvrant pour la défense du statut des comédiens. Considérez-vous comme un devoir le fait de mettre vos connaissances juridiques au service de la profession?

AvS: Ce n’est qu’un réflexe d’autodéfense, de pur égoïsme: je ne peux pas faire monter mes cachets tout seul. Il ne faut pas oublier que c’est un métier qui, par nature, est précaire car les arts du spectacle doivent représenter l’humanité tout entière et qu’on ne peut avoir le profil parfait pour tous les rôles. Les producteurs de spectacle doivent pouvoir puiser dans un réservoir de personnalités, de silhouettes.

Qu’est-ce qui vous a fait quitter le droit pour les planches?

AvS: J’ai toujours voulu faire du théâtre. A 12 ans j’ai pris cette décision, mais j’ai fait du droit pour rassurer mes parents. D’ailleurs, pendant mes études de droit, je faisais déjà du théâtre avec Armand Delcampe.

Le Visiteur a été mis en scène par un grand nom du théâtre français, Gildas Bourdet. Sa manière de travailler est-elle différente du modèle belge?

AvS: Il a une caractéristique qui me chipotais un peu au début parce qu’on n’en a pas l’habitude en Belgique: il avait par exemple l’exigence que l’on connaisse le texte à la première répétition. Je dois reconnaître que ça nous a fait gagner beaucoup de temps même si au début je me trouvais des tas de justifications rationnelles à ne pas étudier mécaniquement le texte avant les répétitions: j’avais peur de prendre un mauvais pli. C’était finalement plutôt une sorte d’échappatoire.

Votre nom ne sonne pas très belge. Vous avez des origines russes et êtes né en Pologne. Comment se fait-il que vous soyez installé en Belgique?

AvS: Je suis un vrai zinneke de Bruxelles. Nous sommes tous nés de la rencontre fortuite d’un spermatozoïde et d’un ovule. Les spermatozoïdes qui m’ont fait naître ont d’abord séjourné du côté de la Géorgie, puis sont passés par la Russie et les pays baltes avant d’aboutir à Bruxelles.

Vous croyez au hasard et non à la prédestination divine?

AvS: Je crois que les choses sont absolument fortuites et n’obéissent à aucun plan ni divin ni humain.

Pourtant, l’inconnu dans la pièce Le Visiteur se présente comme Dieu incarné. Quel est votre rapport à la foi?

AvS: Personnellement, je ne suis sûr de rien. Agnostique. Même si on ne sait pas ce qui nous attend après, je pense tout de même que la vie est belle. Même si nous ne trouvons pas d’explication au fait que nous soyons là, c’est un beau cadeau dont je m’étonne tous les jours.

Vous parliez de partition tout à l’heure. Vous êtes comédien, mais on vous a vu souvent jouer du piano en scène. Est-ce important pour un comédien d’avoir plusieurs cordes à son arc?

AvS: Pas fondamentalement, mais ça m’a servi à déduire mon piano à queue de ma déclaration fiscale.

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Cet entretien est publié aussi par le Magazine bimensuel Zone 02/

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Le Visiteur, les 24,25, 26 et 27 août, 21 heures, Château du Karreveld, rue de la Hoese 3, 1080 Bruxelles, 02/724.24.24, www.bruxellons.net Du 5 septembre au 28 octobre, 20 heures 30, Le Public, rue Braemt 64-70, 1210 Bruxelles, 0800/944.44, www.theatrelepublic.be